Monday, October 11, 2010

réécouter Ornette

Ecouter Ornette n 'est jamais une expérience banale , jamais .Une foule de choses qui parlent tout de suite , quelques interrogations...C 'est une musique qui nous traverse comme une dague .Je me souviens m'être trouvé à Joe's Pub pour une soirée donnée à 'occasion de son soixante dixième anniversaire . J 'y avais entendu jouer le Prime Time , puis Ornette en quartet avec de Johnnette Gerri Allen , un duo assez incroyable avec Charlie Haden , Patti Smith avait dit des poèmes , dans la salle il y avait l'annuaire du Jazz et de la pop qui gamberge , Bill Laswell tout en barbe plein de têtes connues et des inconnus qui vous dont la tête vous dit quelque chose , Patti Smith and co , je ne me souviens plus vraiment mais je me me rappelle que j'avais le sentiment de vivre un truc assez unique. Il y a toute une histoire aussi avec cet Ornette que pourtant je n 'ai rencontré que dans un ascenseur à Montréal( je n'avais fait que regarder sa cravate jaune et son costume bleu pétrole ...Lorsque je suis arrivé à NY , comme étudiant de la Manhattan Scool of music à l'âge tendre de 23 ou 22 ans , quelques mois plus tard , un de mes professeurs le guitariste Chris Rosenberg me glisse " Ornette a besoin d'un bassiste pour le Prime Time dont je fais partie , Chris Walker s'en va , reste jamaladeen Tacuma , dans le groupe il y a deux basses , j'ai parlé de toi à Ornette , il est OK , qu'en dis-tu ? "
J 'étais plutôt bouche bée , je me voyais déjà dans l'avion pour l'Italie ,la première tournée prévue , buvant les paroles du grand prêtre , mais un petit quelque chose me disait de ne pas la ramener , j'avais raison de garder ma joie pour moi et surtout de la contenir il y eu un coup de théâtre quelques jours plus tard puisqu'Ornette décida de prendre un clavier en lieu et place du bassiste numéro 2 , la première fois depuis des lustres , voilà toute mon histoire avec Ornette , le reste sont disques et concerts ( mais ça il n 'est pas au courant ... )
Je me souviens seulement de cette phrase, la seule qu'il prononça au terme de cette longue soirée d'anniversaire où seule la musique semblait le captiver " Quoique vous fassiez , si vous y mettez du coeur , allez jusqu'au bout , il y aura toujours quelqu'un pour vous suivre , cela m'avait marqué , j'ai toujours vu les choses de cette façon .
En attendant , voici un petit topo du grand Charles Mingus sur Ornette , asséné au terme d'un blindfold test au cours duquel il avait eu envie de s'exprimer sur le saxophoniste ( bien qu'il ne lui ai pas été présenté au cours de ce fameux blindfold test
Enjoy , ça ne manque pas de saveur !
You didn’t play anything by Ornette Coleman. I’ll comment on him anyway. Now, I don’t care if he doesn’t like me, but anyway, one night Symphony Sid was playing a whole lot of stuff, and then he put on an Ornette Coleman record.

Now, he is really an old-fashioned alto player. He’s not as modern as Bird. He plays in C and F and G and B Flat only; he does not play in all the keys. Basically, you can hit a pedal point C all the time, and it’ll have some relationship to what he’s playing.

Now aside from the fact that I doubt he can even play a C scale in whole notes—tied whole notes, a couple of bars apiece—in tune, the fact remains that his notes and lines are so fresh. So when Symphony Sid played his record, it made everything else he was playing, even my own record that he played, sound terrible.

I’m not saying everybody’s going to have to play like Coleman. But they’re going to have to stop copying Bird. Nobody can play Bird right yet but him. Now what would Fats Navarro and J.J. have played like if they’d never heard Bird? Or even Dizzy? Would he still play like Roy Eldridge? Anyway, when they put Coleman’s record on, the only record they could have put on behind it would have been Bird.

It doesn’t matter about the key he’s playing in—he’s got a percussional sound, like a cat on a whole lot of bongos. He’s brought a thing in—it’s not new. I won’t say who started it, but whoever started it, people overlooked it. It’s like not having anything to do with what’s around you, and being right in your own world. You can’t put you finger on what he’s doing.

It’s like organized disorganization, or playing wrong right. And it gets to you emotionally, like a drummer. That’s what Coleman means to me.

Sunday, October 10, 2010

beau et con à la fois ...

Après avoir vu ( avec pas mal de retard sur la moyenne ) "A l 'origine " de Xavier Giannoli, qui a ses bons et ses moins bons moments ...Mais là n 'est pas la question ,je me suis penché sur le fait divers qui en est le point de départ, et qui n'est pas si divers que cela . On est loin d'en avoir fini d'être surpris par le genre humain ...
Je ne résiste pas à vous livrer un petit rapport de J.C Dubois

L'entreprise imaginaire de Philippe Berre

Il louait des bulldozers, engageait des ouvriers, perçait des autoroutes. Avec une compétence telle que tout le monde le prenait pour un grand du BTP. Jean-Paul Dubois raconte comment l'escroc des grands travaux a fini en prison


A tout bien considérer, il est finalement assez cohérent qu'un homme confronté à une impasse psychologique soit transporté de bonheur à l'idée de construire une route de dégagement. Les choses deviennent plus complexes lorsque, désireux de mener cette lubie à terme, il choisit un site dans la campagne sarthoise, y installe réellement des baraques de travaux, emprunte des fonds dans un banque locale, embauche 24 ouvriers hautement qualifiés, monte une grue de 70 tonnes, loue 15 gros engins de terrassement, et lance hommes et machines à l'assaut de quelques milliers de mètres carrés de terre censés abriter « la base technique de l'autoroute A 28 Alençon-Le Mans-Tours ». Deux mois durant, sans relâche et avec une grande compétence, Philippe Berre, 43 ans, dirigea donc quotidiennement cet ouvrage aussi virtuel que monumental, ouvrant une voie qui ne menait nulle part, oeuvrant corps et âme au coeur d'un chantier n'ayant d'autre objet que de satisfaire son désir effréné de recruter et de conduire une équipe de travaux publics. Lorsque le 17 mars les gendarmes de Saint-Mamert, informés de la supercherie, interpellèrent Philippe Berre, celui-ci rangea sagement son 4 x 4 rouge vif sur le bas-côté de la route et ne fit aucune difficulté pour reconnaître les faits. Sur le ton du contremaître déçu de ne pouvoir mener son projet à terme, il ajouta simplement : « Vous m'arrêtez vingt-quatre heures trop tôt. Demain, j'avais rendez-vous avec le ministre des Télécommunications, François Fillon. J'allais lui expliquer de quelle manière je comptais noyer les câbles téléphoniques dans les sous-bassements de l'autoroute. » Pour la première fois depuis bien longtemps, Philippe Berre disait la vérité. Philippe Berre est un personnage singulier. En quinze ans, il a été condamné à quatorze reprises par la justice. Toujours pour le même motif : mise en oeuvre de faux chantiers. Il est incapable de résister à l'appel de la pelle et du scraper. Il ne peut rien contre cet irréfragable désir qui le pousse à s'atteler à une tâche d'envergure. Pour cela il est prêt à mentir, à affabuler, à escroquer des banques et des collectivités locales. S'il dérobe ainsi quelque argent, ce n'est jamais à des fins d'enrichissement personnel, mais toujours pour le « réinvestir » aussitôt dans son éphémère et inutile chantier. Chaque sou est répertorié, couché dans ses livres de comptes. Berre gère ses affabulations et ses mensonges avec l'expertise d'une société fiduciaire. Après avoir remis ses bilans aux gendarmes, il s'est ainsi expliqué sur la nature de son récurrent syndrome de bâtisseur : « J'ai toujours été comme ça. Lorsque je vois des matériaux, des engins de travaux publics, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'ils m'appartiennent, qu'ils m'attendent. » Voici donc l'histoire de cet homme sans cesse tourmenté par ses pulsions travailleuses, l'itinéraire de ce terrassier obsessionnel qui, d'une certaine façon, comme l'observe avec beaucoup de pertinence le juge d'instruction Laurent Leguevaque, incarne la pathologie d'une époque : « Dans une période de crise et de chômage, ce monsieur simule ce dont tout le monde rêve : l'abondance du travail et la reprise de l'activité économique. » Entre 1983 et 1996, avec sa panoplie de missionnaire mystificateur, Berre sillonne la France et invente des chantiers fantomatiques à Marseille, à Lisieux ou à Paris. A Rouen, son amour du métier le pousse même à donner des cours de formation du bâtiment à l'Afpa. Jusqu'au jour où, dans cette institution, on s'aperçoit que ce brillant professeur, entré là on ne sait comment, ne possède aucune qualification pour enseigner. A chacune de ces frasques, la justice évidemment le sanctionne et l'incarcère. Mais Berre est incorrigible. De plus, il a du charme, un grand pouvoir de persuasion et des compétences réelles. Dans ses cellules successives, il dévore des ouvrages économiques et des monographies professionnelles telles que « le BTP dans l'avenir », ou encore « l'Apport des grues allemandes dans le bâtiment parisien ». Bref, cet usurpateur de talent, ce conteur, cet enchanteur, séduit à chaque fois ses juges d'application des peines. Tous sont impressionnés par l'allant et la détermination de ce récidiviste chronique qui ne jure que par l'esprit d'entreprise et le goût du travail bien fait. Et si ses explications, ses professions de foi se révèlent insuffisantes, Berre n'hésite pas à produire de faux certificats d'embauche pour bénéficier d'une libération anticipée. Le 3 décembre 1996, il quitte la prison de Troyes et trouve un emploi d'ouvrier à Charolles, haut lieu de la grue, dans l'entreprise Cochery, une très importante société de travaux publics. Il reste à son poste quelques mois, puis un jour, repris par ses lunes, lassé de ne pouvoir donner sa pleine mesure, il disparaît avec un carnet de « bons » de la compagnie. Ces bons, ce sont des ordres de paiement, une sorte de chéquier privé que les gros établissements de travaux publics ont coutume d'utiliser pour payer leurs fournisseurs, mais aussi les hôteliers et les loueurs d'automobiles. Avec cette monnaie de singe, Berre part en quête d'inspiration et sillonne le pays. Pour simplifier les choses et entrer peu à peu dans la peau de son nouveau personnage, il se fait désormais passer pour Roger Martin, véritable nom du directeur de Cochery. Dans la Sarthe, à Saint-Marceau, il apprend que des parcelles ont été achetées en vue de la construction d'une autoroute en 2002 ou 2003. Aussitôt il comprend qu'il vient d'atteindre la terre promise, que cette « A 28 Nord » sera sienne, qu'il va ouvrir cette voie. Désormais, Roger Martin prend l'affaire en main. Il se présente ès qualités dans toutes les communes avoisinantes et annonce l'ouverture prochaine du chantier. Pour 5 000 francs par mois, il loue un gîte rural dans lequel il installe ses bureaux. Ensuite, il propose aux paysans du coin d'héberger les futures caravanes des ouvriers qui travailleront sur le tronçon, en échange de 1 000 francs mensuels. Martin est un visionnaire, mais c'est aussi un gestionnaire. Ainsi, il négocie avec les auberges du village des « menus chantier » à 50 francs pour tous ses ouvriers. Il ne lui reste d'ailleurs plus maintenant qu'à les recruter. Il se rend au Mans, contacte l'ANPE, mais aussi des sociétés d'intérim comme Bis ou Synergie. A toutes il tient cet incroyable langage : « Donnez-moi les meilleurs. Je veux des gars vraiment compétents, pas de ces ex-taulards placés là par un juge d'application des peines. » Roger Martin sait de quoi il parle. A la banque, c'est pareil. En un après-midi, sur un comptoir de crédit, avec son charme et son sourire pour seule garantie, il emprunte 60 000 francs d'argent de poche. Durant toutes ces négociations, Martin a toujours sur lui le téléphone portable qu'il vient de louer. Et, au milieu de chacun de ses rendez-vous, le combiné sonne. S'excusant auprès de son hôte, le « patron » de Cochery simule alors une longue conversation technique. Car, à l'autre bout du fil, il n'y a que le service du réveil de France Télécom, que Martin programme d'heure en heure au gré de ses besoins. Dans la région, chacun est désormais persuadé que ce M. Roger Martin est bien le messie de la reprise, le petit maître du monde. De fait, les hommes, les pelleteuses, les niveleuses et même la grue de 70 tonnes arrivent sur le site, désormais balisé avec des panneaux qui proclament « Groupement autoroutier CGE, grands travaux ». Sur le toit des baraques Algeco, on tire des lignes téléphoniques, et à l'intérieur une secrétaire commence à gérer la partie administrative du chantier. Tout le monde porte un casque et une combinaison bleue. C'est la vie en rose : les ouvriers sont embauchés avec des contrats à durée indéterminée. On leur a promis des années d'un salariat exaltant. Maintenant, les travaux sont lancés. Les machines tournent à plein, rabotent et retournent la terre. Martin est partout, dirige tout, sait tout. Sur le terrain, il acquiert très vite la réputation d'un patron compétent, passionné par la technique et l'avance du chantier. Si Martin-Berre est aussi pointilleux sur les délais, c'est parce qu'il sait que son temps est désormais compté, que tôt ou tard quelqu'un va découvrir que cette voie ne mène nulle part. En attendant, il s'abîme dans le travail, se fond à l'oeuvre commune. Quand un grutier commet une erreur de manipulation et bloque sa tourelle, Martin ne s'énerve pas. Il monte lui-même au sommet de la flèche pour déverrouiller l'engin et expliquer calmement la procédure à son salarié. « Normalement, sur un chantier, pour une faute comme ça, dira le grutier, on se fait traiter de tout et renvoyer dans l'heure qui suit. » Martin, lui, garde son calme. Parce qu'il n'a jamais été aussi heureux, parce que sa vie défile sur un tapis roulant, parce que malgré sa lucidité il se sent de taille à tracer cette autoroute jusqu'aux faubourgs de Lille. A la fin du premier mois, il n'a bien sûr pas un sou vaillant pour payer ses employés. Alors il leur raconte que, comme sur tous les chantiers débutants, les virements ont du retard et les fait patienter en leur donnant leurs « feuilles d'heures », un récapitulatif précis de leurs gains. En un temps record, avec une aisance stupéfiante, Philippe Berre est entré dans la peau de son personnage. Il impressionne même sa secrétaire, qui n'a jamais vu un patron tenir aussi scrupuleusement sa comptabilité. Le 7 mars est une grande journée pour Martin-Berre. Afin de célébrer la bonne marche de l'ouvrage, il a loué la salle des fêtes de Saint-Marceau et organisé une petite soirée à laquelle il a convié une quarantaine de notables et de représentants des collectivités locales. Il parle de son travail, de ses projets et de sa future entrevue avec le ministre Fillon. Aux yeux de tous, il est le bienfaiteur de la région. Dix jours plus tard, il traversera la ville entre deux gendarmes. Son destin l'a rattrapé. Et le vrai Roger Martin aussi : après le vol de ses « bons », celui-ci avait porté plainte. Lorsque les fournisseurs du chantier sarthois ont présenté leurs factures à l'entreprise Cochery, ce fut un jeu d'enfant pour la gendarmerie de retrouver l'architecte du rêve. Aujourd'hui incarcéré à Mâcon, où le juge Leguevaque centralise tous ses dossiers, Berre reconnaît les faits sans difficultés et ne s'emporte que lorsque la greffière inscrit « sans profession » sur son dossier. Il se lève et s'indigne : « Vous n'avez pas le droit ! Je suis chef de chantier ! » Avant d'ajouter : « Même si je sais que tout cela n'a aucun sens, je suis heureux pendant que je fais ces travaux. Je deviens alors la personne que j'ai toujours rêvé d'être. » Et, lorsqu'on lui fait remarquer qu'il a douloureusement piégé 24 chômeurs, il répond : « Au moins ils auront eu le plaisir de travailler deux mois grâce à moi. » Pour essayer de comprendre la complexité de ce personnage, le juge Leguevaque a ordonné qu'il soit soumis à une expertise psychiatrique. Quant au chantier sarthois, il demeure pour l'instant en l'état, le magistrat convenant qu'après tout ce site, ainsi aménagé, pourrait peut-être un jour vraiment servir de « base technique » pour la construction de l'hypothétique autoroute A 28. Alors, à la fin de cet opéra de dupes, traversé par le doute, on fixe le regard bienveillant et joueur de Laurent Leguevaque, et l'on ne peut retenir cette ultime question :« Qu'est-ce qui me prouve que vous êtes réellement juge d'instruction ? » Jean-Paul Dubois